La Provence – 17.01.1998
Michel Bonzi, du fracas de l’usine aux raffinements de l’atelier
Toujours fastueux, souvent provocants, ses modèles lui font oublier ses années d’ouvrier « dans le bruit, la chaleur et la crasse ». A Marseille, la griffe de ce jeune créateur commence à s’imposer.
Quand il était petit, Michel Bonzi se construisait des cabanes. Mais les siennes ne ressemblaient pas à celles des autres enfants du quartier : elles avaient des rideaux à fleurs et portaient des noms poétiques. Plus tard, quand il eut 13 ou 14 ans, il exigea de s’habiller sur-mesure : il concevait les modèles que sa mère, bonne couturière, fabriquait. A Saint-Auban-sur-Durance, à l’ombre de la cheminée de l’usine –hier Péchiney, aujourd’hui Atochem, ces choses là déconcertaient « on me raillait sans doute un peu, se souvient-il, mais j’avais déjà un fort sentiment de supériorité. Je savais de toute façon que j’étais dans la vérité. »
Vingt ans plus tard, Michel Bonzi, 37 ans, est installé dans une élégante boutique de la rue Beauvau, à Marseille. Une robe du soir, corset de satin sur tulle voile de mariée et taffetas vieux-rose habille un mannequin de bois dressé dans la vitrine. Il y a quelque de plus que la simple élégance : un raffinement, une magnificence, qui évoquent le grand siècle plus que les festivités contemporaines. « Mes vêtements d’aujourd’hui, dit Michel Bonzi, c’est mon imaginaire d’il y a vingt ans »
La boutique est ouverte depuis le mois de mars dernier. Michel la dédiée « A Joséphine » , sa mère, qui fut la première à croire en son talent. Car entre Saint6auban et la rue Beauvau, entre la petite cité ouvrière et la presque »haute couture », le chemin était loin d’être tracé. Le jeune homme est probablement à ce jour, le seul créateur de mode titulaire d’un « CAIC », le certificat de Conducteur d’Appareils de l’Industrie Chimique, le sésame qui ouvre les portes de la vie professionnelle. Ouvrier, puis comptable, « l’usine serait pendant prés de vingt ans son horizon, sa « Cage » et son tourment.
Provocants et fastueux
Il faut imaginer Michel, en 1978, « dans le bruit, la chaleur et la crasse » d’un atelier de fabrication. Il faut l’imaginer rêvant de satin, de velours épais, de dentelles et de surpiqûres dans l’odeur du chlore et le fracas des machines. « Je dénotais » dit-il sobrement. Ouvrier de fabrication, puis comptable, le jeune homme s’évade en dessinant ses vestes et ses pantalons que Joséphine, toujours solidaire, « patronne » monte et coud.
En 1986, Michel décide de se jeter à l’eau et de présenter sa première collection. Bravant l’ironie de ses collègues de bureau, il crée une société, dépose sa griffe – « Persiste et Signe » – se fait prêter une salle à Château-Arnoux, rameute quelques copains et copines, et organise son premier défilé. « j’étais parti bille en tête. Trente modèles, homme et femme, depuis le tailleur habillé et le smoking jusqu’à la tenue du soir et la robe de mariée. Tout ce dont j’avais fait la provision pendants des années était là. Dix ans plus tard, j’en suis encore ébahi. »
La « patte » Michel Bonzi est déjà toute entière dans cette collection aux modèles audacieux, provocants et fastueux. A Château-Arnoux comme à Saint6auban, l’événement ne passe pas inaperçu. Si les élégantes ne se sentent pas vraiment prêtes à s’habiller « Bonzi », les échos du défilé parviennent jusqu’à Marseille où Maryline Vigouroux essaie de fédérer les « jeunes créateurs » régionaux pour les épauler et leur donner plus de poids. « Jusqu’alors, j’avais été un amateur doué. Là, avec ce petit groupe d’une quinzaine de personnes, j’accédais à la catégorie supérieure. »
Un attrait Magnétique
L’usine, bientôt accepte de muter Michel dans un autre établissement du groupe, à la Milière. Il y restera deux ans. « C’était à peine mieux qu’à Saint-Auban. Quand j’ai été au bord de la dépression, j’ai pris la grande décision. Atochem a accepter de me libérer et je suis devenu couturier à plein temps. »
Installé, presque reconnu, Michel est à ce moment d’une carrière où tout peut basculer, vers la gloire comme vers l’échec. « J’ai quitté la cage, je suis sur le perchoir. Ou je prends mon essor, ou je tombe. »
A Marseille, et même à Château-Arnoux, il s’est fait une clientèle et une spécialité : le mariage « Un «beau mariage » – et dans certains milieux ça existe toujours – c’est une demi-douzaine de modèles pour la mariée bien-sûr, mais aussi pour sa mère, ses sœurs, pour la bénédiction religieuse et la cérémonie civile, pour la réception qui s’ensuit… »
Du dessin jusqu’au montage, Michel réalise tout lui-même. Il vend ses robes entre 9 et 12 000F. « Je dis haut et fort que ce n’est pas cher. Je connais bien le monde de la haute-couture et je n’ai aucun complexe. »
Dans la rue Beauvau, sa vitrine exerce sur les passants un attrait magnétique. Homme ou femme, chacun s’arrête, rêve un instant devant les modèles exposés, puis passe comme à contre-cœur son chemin. « Ici à Marseille, tout peut arriver, contrairement à ce que l’on croit et même si les gens sont extrêmement discrets, le potentiel de clientèle existe ».
Pour Michel Bonzi, l’année qui commence devrait être décisive. « Je pense que je vais exploser » , dit ce jeune homme raffiné qui n’a jamais douté de son talent, ni de sa bonne étoile.
Robert ARNOUX